Authors:Claire Mouradian Pages: 6 - 42 Abstract: Cet article porte sur la littérature arméno-soviétique et étudie les relations entre le pouvoir communiste et les écrivains. Ces derniers sont soumis aux injonctions d’un État totalitaire qui, depuis Lénine, a toujours considéré la littérature comme un instrument de propagande, et les hommes de lettres – et plus généralement les intellectuels – comme des auxiliaires du Parti. D’où la difficulté de traiter de courants et d’esthétiques littéraires indépendamment des diverses phases de l’histoire de l’URSS. Outre des questionnements communs aux peuples non-russes – s’agit-il d’une littérature nationale ou provinciale ' –, en Arménie s’ajoutent ceux spécifiques à un pays héritier d’influences culturelles diverses après plusieurs siècles de partage entre des empires, une double norme linguistique (orientale et occidentale), et une diaspora mondiale issue du génocide de 1915. On y mesure ainsi les effets de la volonté uniformisatrice d’une littérature devant être « nationale par la forme, socialiste par le contenu », aboutissant souvent à sa folklorisation, mais aussi une certaine résistance des « ingénieurs des âmes » à ce processus. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1042 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Élisabeth Mouradian Venturini Pages: 43 - 60 Abstract: Dans cet article, j'étudie l’attachement de Yéghiché Tcharents au thème national en identifiant les événements historiques qui influencent la formation et l’évolution de sa poétique. Poète inspiré de la révolution internationaliste, chantre aux accents futuristes de Lénine et des foules en révolte, Tcharents, écrivain audacieux par ses actions et son œuvre, est par son destin l’incarnation à la fois des tragédies, des espérances et du désenchantement de sa nation qui irriguent son langage poétique en mutation constante au fil des évolutions politiques et géopolitiques. Par ailleurs, l’impossibilité de la réalisation de son « rêve national » dans l’URSS de Staline rend ses relations complexes et ses réactions insolites vis-à-vis de l’ordre établi. Tcharents est encore aujourd’hui considéré comme contradictoire dans sa vie et antithétique dans sa poésie. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1041 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Valentina Calzolari Pages: 61 - 79 Abstract: Gourguen Mahari (1903–1969) est l’un des écrivains les plus marquants de la littérature de l’Arménie soviétique. Dans sa jeunesse, il participa activement aux mouvements intellectuels de la capitale, brièvement présentés dans ce travail, avant de tomber en disgrâce, en 1936, et d’être déporté dans les camps du Goulag, d’où il ne put rentrer qu’après la mort de Staline. Cet article porte sur Barbelés en fleurs, une œuvre écrite en 1965 et issue des longues années passées par l’écrivain dans les camps. Censurée en Arménie soviétique, elle fut publiée pour la première fois en diaspora (Beyrouth et Paris), en 1971–1973, et seulement en 1988 en Arménie, dans le contexte de la perestroïka. Cet article analyse les plans narratifs de Barbelés en fleurs et les procédés d’écriture employés par Mahari en les comparant avec les choix d’écriture adoptés par d’autres écrivains, non arméniens, pour « écrire les camps ». Une lecture croisée avec une deuxième œuvre majeure de Mahari, Vergers en feu, sur l’autodéfense de la ville de Van en 1915, s’est révélée fondamentale. Dans les deux ouvrages, l’auteur fait recours au dialogisme et à la réfraction pour faire entendre une pluralité de voix et de perspectives. L’article rappelle aussi quelques aspects des interdictions qui ont frappé la littérature arméno-soviétique, non seulement au nom de l’idéologie du Parti, mais aussi du discours officiel arménien sur l’histoire de la libération des Arméniens de l’Empire ottoman. La censure arménienne ne pardonna pas à Mahari d’avoir montré le mouvement révolutionnaire arménien, dans Vergers en feu, sous l’angle de la déshéroïsation et de la désacralisation. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1040 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Vartan Matiossian Pages: 80 - 92 Abstract: Kostan Zarian, l’une des figures majeures de la littérature arménienne du XXe siècle, a laissé un vaste corpus littéraire de prose et de poésie. Cet essai présente l’un de ses principaux sujets : son projet de construction de la nation par la littérature, particulièrement traité au cours des décennies qu’il a passées dans la diaspora arménienne. Il convient de noter que Zarian a explicitement rejeté la dispersion des Arméniens provoquée par le génocide de 1915, un rejet qu’il incarna lorsqu’il (re)vint à sa patrie au crépuscule de sa vie. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1036 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Cécile Vaissié Pages: 93 - 111 Abstract: Vassili Grossman, auteur soviétique des romans Vie et destin et Tout passe, se rend en Arménie en novembre et décembre 1961 pour y retravailler la traduction en russe du roman de l’un des dirigeants de l’Union des écrivains arméniens, Hratchia Kotchar. Moins de deux ans plus tard, en septembre 1963, les intellectuels français Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, constamment entourés par les autorités locales, dont Hratchia Kotchar, passent deux ou trois jours dans cette république soviétique, à la toute fin d’un séjour de six semaines en URSS. Grossman et Beauvoir – mais pas Sartre – écriront des textes à la première personne du singulier sur leur séjour en Arménie, et, si ces textes sont de longueurs très différentes, ils ont le mérite de figer deux regards en partie complémentaires sur l’Arménie, sa société et son monde littéraire à une époque précise : celle du Dégel et de la déstalinisation. En outre, Grossman développe dans le sien une comparaison explicite entre Arméniens et Juifs, deux peuples victimes de massacres de masse au XXe siècle, et il poursuit ainsi sa réflexion sur les totalitarismes du siècle. Ces deux textes sont donc aussi révélateurs des perceptions et des attentes de leurs auteurs : un Soviétique, désormais très critique du stalinisme et du léninisme, marqué par les meurtres collectifs du XXe siècle et séduit par les gens simples d’Arménie, et une Française qui demeure fascinée par le communisme et les révolutions, et ne parle ni russe ni arménien. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1032 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Violette Krikorian Pages: 113 - 127 Abstract: Violette Krikorian propose ici une analyse du pont littéraire entre deux icones de la littérature arménienne, Vahan Térian et Yéghiché Tcharents, dont le destin tragique se confond avec celui de la nation. Témoins du fracas de la guerre, du génocide et de la révolution, les deux furent fauchés à la fleur de l’âge : l’aîné, Térian, succomba à la tuberculose à trente-cinq ans, loin de chez lui, à Orenbourg, où il répandait la bonne parole bolchevique ; son cadet, son admirateur et critique à la fois, incarne une autre figure romantique, celle du poète assassiné, victime de la répression stalinienne à quarante ans. D’une certaine façon, ils sont l’emblème de la révolution qui mange ses enfants. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1039 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:David Gasparian Pages: 129 - 146 Abstract: L’appel à la Glasnost de Gorbatchev a permis de revisiter les « pages blanches » de l’histoire, en particulier celles de la période stalinienne en Arménie comme dans le reste de l’URSS. Dans cette république, la première à déboulonner la statue de Lénine (13 avril 1991), ce nouveau Dégel a été l’occasion d’une critique de la politique des nationalités du régime en matière territoriale (la revendication de rattachement du Haut-Karabagh) et culturelle (l’effacement du passé national et de l’identité). Publié dans la revue libérale Garoun [Printemps], en avril 1991, quelques mois avant la déclaration d’indépendance et la fin de l’URSS, cet article de David Gasparian rappelle à travers une liste – non exhaustive – quelle fut la littérature interdite par la censure lors de la Grande Terreur. Tirée des archives, la liste offre un échantillon des œuvres considérées comme dangereuses pour la censure : des classiques, y compris ceux empreints d’idéaux progressistes, sinon socialistes, du XIXe siècle, aux écrits révolutionnaires des partisans ralliés au nouveau régime. L’article montre aussi la ligne sinueuse des directives du Parti, que les censeurs n’arrivent pas toujours à suivre, au risque d’être eux-mêmes victimes des purges. La chronologie des rééditions de ces œuvres en Arménie constitue un baromètre politique. Les rééditions à l’étranger permettent d’établir la cartographie des communautés de la diaspora où l’héritage littéraire fut préservé. Le nombre de ces rééditions et des traductions laisse entrevoir la réception de cette littérature. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1033 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Radzhana Buyantueva Pages: 148 - 167 Abstract: Les normes de genre ainsi que la sexualité sont devenues des enjeux au sein des tensions culturelles et géopolitiques entre la Russie et l'Occident. Au début des années 1990, la Russie était prête à adhérer aux valeurs libérales occidentales en accueillant des organisations non gouvernementales (ONG) étrangères et internationales désireuses de travailler dans le pays. Désormais, et ce depuis les deux dernières décennies, le Kremlin perçoit la promotion des idéaux libéraux occidentaux dans le monde comme un signe d'impérialisme. La Russie se présente quant à elle comme un défenseur des « valeurs traditionnelles » et de la « famille traditionnelle ». En outre, Vladimir Poutine assimile le rejet des droits LGBT à un acte de résistance à ce qui est perçu comme une domination libérale occidentale. Le Kremlin considère que les ONG occidentales qui défendent le projet libéral sont des acteurs qui œuvrent à affaiblir la souveraineté et la sécurité nationales. Cet article analyse le rôle des ONG étrangères et internationales (occidentales) dans l'activisme LGBT russe. Il examine comment les changements d'orientation géopolitique et de politique étrangère que la Russie a connu lors de la période postsoviétique ont affecté les liens entre les activistes LGBT russes et les donateurs occidentaux. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1031 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Mikhaïl Minakov Pages: 169 - 186 Abstract: Avec l’aimable autorisation de la revue, nous présentons ci-après la traduction légèrement abrégée d'un article de Mikhaïl Minakov paru dans Neprikosnovennyj Zapas en 2020 (n° 129, pp. 161–179). Il nous semble important de faire connaître ce texte au lectorat francophone dans le contexte de l’invasion russe déclenchée le 24 février 2022. À l’époque, la défaite rapide de l’armée ukrainienne et l’effondrement de l’État ukrainien paraissaient l'hypothèse la plus probable non seulement pour le Kremlin, mais aussi pour de nombreux commentateurs. Pour expliquer l’étonnante résistance de l’Ukraine face à l’agression, on a souligné le rôle de la mobilisation civique, dans la lignée des recherches sociologiques menées depuis 2014 sur les « volontaires » du Maïdan puis dans la guerre qui s’en est suivie dans le Donbass. L’article de Mikhaïl Minakov s’intéresse quant à lui à l’État lui-même et prend plus de recul en envisageant un siècle d’histoire et pas seulement les huit dernières années. Il montre ainsi la continuité paradoxale dans la construction d’un système politique solide en Ukraine. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1029 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Vincent Exiga, Marina Fedorovsky Pages: 187 - 196 Abstract: Ce Champ Libre a pour objectif de transmettre les voix de cinq féministes arméniennes actuellement engagées dans plusieurs formes d'activisme. Les entretiens ont été réalisés en janvier et février 2022, à Erevan et Vanadzor. Quelle est leur définition du féminisme ' Comment mènent-elles ce combat en Arménie ' Quelles sont leurs sources d’informations et d’inspiration ' Nous considérons que le patriarcat n'épargne aucune société. Il nous semble donc important d'appréhender ce système à travers les témoignages de celles qui luttent contre ses manifestations locales. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1028 Issue No:Vol. 8 (2022)
Authors:Tania Pages: 197 - 213 Abstract: Cet article est le résultat de ma réflexion, sur moi-même, sur ma ville, sur mon pays dans cette situation politique, militaire et culturelle qui est aujourd’hui la nôtre. Comme si j’étais retournée aux années de ma jeunesse, je me suis posé et reposé les mêmes questions obsédantes et incontournables : comment cela a-t-il pu arriver, aurions-nous pu, et en particulier moi, faire quelque chose pour éviter la catastrophe ' Quand ce pays qui, semblait-il, s’était résolument engagé sur le chemin de la liberté, a-t-il commis une erreur fatale ' Qu’avons-nous fait que nous n’aurions pas dû faire et, surtout, qui est ce « nous » ' Qui est ce « moi » ' Reste-t-il un avenir à ceux qui l’ont répudié si facilement, à leur propre insu, en faveur d’un présent illusoire, ensorcelé par un passé qui lui-même a été inventé par des idéologues en chambre ' Sont-ils nombreux, ceux qui, en Russie, approuvent la guerre, et où se trouvent les sources de notre résistance ' Qu’arrive-il à la langue, à la nature humaine ' J’évoque tout ceci en artiste et en être humain qui se trouve dans une situation critique. Ces réflexions m’ont pris trois longs mois depuis les chaleurs étouffantes d’août jusqu’aux journées les plus sombres de novembre, qui a été froid en Russie. Cet article est le journal de mes observations sur les choses de ce monde, sur les morts et les vivants, sur le mystique et le banal, sur les changements qui ont affecté Moscou et ses habitants au cours des derniers mois, sur le processus au terme duquel j’ai compris qu’il y avait deux « peuples de Russie », dont la mixtion est impossible, qui étaient ontologiquement hostiles et qui se sont rencontrés aujourd’hui à un croisement de routes, alors qu’ils suivent des directions opposées. PubDate: 2022-12-30 DOI: 10.5077/journals/connexe.2022.e1030 Issue No:Vol. 8 (2022)