Abstract: Nick Revington De nombreuses villes universitaires ont connu le phénomène d’« étudiantisation », par lequel la population étudiante se concentre dans certains quartiers urbains. Ce processus est souvent accompagné d’une variété de répercussions négatives telles que le bruit, le vandalisme, le mauvais entretien des propriétés, et, de plus en plus, le développement de résidences étudiantes privées. En m’appuyant sur des entretiens avec des informateurs clés et l’analyse de documents portant sur le cas de Waterloo (Ontario) — le plus grand marché de résidences étudiantes privées au Canada —, je soutiens que l’étudiantisation contemporaine est une caractéristique inhérente à l’urbanisation capitaliste. L’analyse conjugue l’approche des parcours de vie à des théories d’économie politique critique de la ville afin de démontrer comment l’étudiantisation, en tant qu’espace « générationné » défini par des notions socialement construites du mode de vie étudiant, est en même temps un producteur et un produit de l’urbanisation capitaliste. Cette distinction est créée et maintenue tant à l’échelle des quartiers qu’à une échelle plus large, par le biais des stratégies du secteur immobilier et des associations de résidents, et est renforcée par des interventions en aménagement à l’échelle locale, ce qui a souvent des conséquences négatives sur l’habitat étudiant. L’analyse montre également l’importance des différences générationnelles dans l’inégalité sociale et, par là même, fournit une nouvelle explication de la ségrégation selon l’âge. Afin de construire une ville « post-étudiantisation » équitable, la politique et l’aménagement devraient adopter une perspective intergénérationnelle qui prend en compte à la fois les dimensions de la classe sociale et de l’âge.
Abstract: Amel Gherbi-Rahal Cet article interroge l’offre résidentielle montréalaise de plus en plus diversifiée, mais aussi plus segmentée qu’auparavant, proposée à la population étudiante. Il approfondit les travaux récents sur ce qui pourrait être qualifié de « tournant hôtelier » de l’offre résidentielle étudiante. L’article étudie l’hébergement des étudiantes et des étudiants internationaux à Montréal en s’appuyant sur les écrits existants et en mobilisant une lecture critique de l’hospitalité dite « intéressée », qui prend les traits de l’accueil marchand. Cet article fournit un éclairage empirique sur la marchandisation et la financiarisation de nouveaux segments de l’hôtellerie urbaine dédiée. L’analyse contribue à prolonger conceptuellement ces travaux et permet de comprendre le caractère hybride d’une offre de logements émergente, dont les logiques commerciale et contrôlée, enrobées dans les apparats d’une offre d’hospitalité « généreuse », contribuent à façonner des espaces de vie précarisant pour les étudiantes et les étudiants vulnérables.
Abstract: Garance Clément Partant du constat que les espaces frontaliers restent trop peu étudiés par les sociologues de l’urbain, cet article analyse les stratégies résidentielles de différentes fractions des classes moyennes originaires de l’agglomération lilloise et ayant déménagé en Belgique voisine. Comprendre les déterminants et les effets de leur repositionnement hors du quartier et hors du pays de résidence permet de mieux saisir le rôle des classes moyennes dans des dynamiques de ségrégation résidentielle qui se prolongent au-delà du territoire national. À partir d’entretiens conduits auprès d’habitant·es (n = 33) et d’acteur.trices participant à la construction des trajectoires résidentielles et migratoires (n = 31), l’article analyse trois temps de la migration (la formulation d’un projet de départ, sa réalisation concrète et le positionnement à l’arrivée), et met en lumière deux résultats principaux : premièrement, bien qu’elle favorise parfois des reclassements résidentiels atypiques, la migration transfrontalière a plutôt tendance à renforcer les écarts de position entre fractions hautes et basses des classes moyennes, car leurs ressources économiques et culturelles ne circulent pas avec la même facilité d’un pays à l’autre ; deuxièmement, les pratiques des acteurs du logement participent de ces écarts et contribuent à l’existence de processus discrets de tri social et urbain à l’échelle transfrontalière.
Abstract: Patricia Loncle et Emmanuelle Maunaye Dans le présent article, nous interrogeons le rôle que peuvent jouer les pratiques de colocation dans les parcours vers le logement autonome des jeunes de classe moyenne dans un contexte de précarisation de cette population. L’article est basé sur un corpus de 25 entretiens semi-directifs conduits auprès de 33 jeunes ayant entre 18 et 30 ans au moment de l’entretien (19 femmes et 14 hommes composent l’échantillon). Les entretiens ont été menés essentiellement dans une agglomération de taille moyenne entre 2018 à 2020. Le parcours résidentiel étant très lié au parcours de vie, une perspective biographique a été déployée pour saisir les cheminements, les bifurcations et les temporalités qui viennent marquer l’entrée et la sortie de la colocation. L’article montre que les pratiques de colocation permettent aux jeunes d’échapper au déclassement résidentiel. En outre, ces pratiques sont présentées comme des moyens, certes de répondre à des difficultés économiques, mais également de construire leur identité en optant pour des modes de vie collectifs. Enfin, ces pratiques peuvent être, selon les jeunes, plutôt pensées comme des parenthèses en attendant une installation en couple ou bien comme des choix durables de modes de vie remettant en cause les normes dominantes du passage à l’âge adulte. En conclusion, l’article insiste sur le fait que les pratiques de colocation des jeunes peuvent être considérées comme des moyens pour les individus de construire leur identité dans un contexte d’incertitude et de risques de déclassement social et résidentiel des jeunes de classe moyenne.
Abstract: Pascale Dietrich-Ragon, Camille François, Anne Lambert et Lydie Launay Le rééquilibrage territorial en matière de logement social s’est imposé depuis les années 2000 comme un nouvel outil de l’action publique pour lutter contre la ségrégation urbaine. Dans les grandes métropoles soumises au renchérissement des prix immobiliers, des logements sociaux sont construits au coeur des quartiers bourgeois où leur part est historiquement faible. À partir de trois sources de données (fichiers administratifs de relogement, recensements à l’échelle infracommunale, monographies de familles relogées), cet article livre une analyse quantitative et qualitative des modalités et des conditions d’insertion des ménages relogés dans les quartiers bourgeois parisiens. Les populations relogées se distinguent non seulement des populations résidantes par des écarts de niveaux de vie et par des différences d’origine (phénomène déjà bien documenté), mais aussi du point de vue de leur structure familiale et des normes de genre. Nombreuses à être relogées dans ces quartiers, les femmes à la tête de familles monoparentales se trouvent confrontées au modèle de la famille nucléaire stable, prépondérante dans ces arrondissements, qui contrarie leurs chances et leurs expériences d’insertion locale.
Abstract: Catherine Flynn, Simon Turcotte, Christophe Levesque, Pénélope Couturier, Julie Godin, Mélissa Cribb, Elie Fortin-Otis, Gabrielle Petrucci, Isabelle Marchand et Marie-Marthe Cousineau Cet article présente les résultats de deux études semblables menées entre 2017 et 2020, au cours desquelles 68 entretiens de type récit de vie avec des femmes violentées ayant vécu une ou plusieurs situations d’itinérance ont été réalisés, ainsi que 17 groupes de discussion auprès d’intervenant·es communautaires oeuvrant auprès d’elles. Il expose une analyse féministe des obstacles rencontrés dans l’accès au logement dans certaines régions périphériques du Québec, au moment de quitter un contexte de violence conjugale. Il montre que la spirale de l’itinérance des femmes (Gélineau, 2008) peut être liée à leur fragilité économique à la sortie d’un contexte de violence, mais surtout aux inégalités (re)produites par le spatial fix. Les résultats illustrent 1) l’effet du développement économique, lequel est principalement axé autour des domaines traditionnellement masculins, sur le prix des logements, et 2) les difficultés à accéder, principalement pour les femmes seules, à un logement social. Par conséquent, les femmes tentant d’échapper à un contexte de violence sont contraintes 1) de se reloger dans un secteur éloigné des centres, loin des pôles de développement, renforçant du même coup leur précarité ; 2) de résider dans un logement vétuste ou d’être sujette aux abus d’un propriétaire ou d’un concierge dans les centres urbains régionaux ; ou 3) de retourner dans un contexte de violence.
Abstract: Chloé Reiser Dans cet article, l’objectif est de présenter les initiatives mises en place localement par les organismes communautaires pour lutter contre le mal-logement au sein de deux quartiers tremplins d’immigration de Montréal. Basé sur une méthodologie qualitative, il s’appuie sur un travail d’observation participante mené pendant près de trois ans comme bénévole au sein de deux organismes de défense des droits des locataires, le Comité d’action de Parc-Extension (CAPE) et le Bureau Info Logement (BIL) de Saint-Michel. La recherche mobilise également l’analyse d’une trentaine d’entretiens semi-directifs conduits auprès de différents professionnels du secteur du logement dans les deux quartiers. Dans les quartiers Parc-Extension et Saint-Michel, les résidents, pour la plupart des travailleurs pauvres immigrants, font face à de nombreux problèmes d’insalubrité et de surpeuplement des logements, mais aussi aux impacts des dynamiques de gentrification qui s’opèrent dans ces espaces de transit. Pour répondre à ces différents enjeux et compenser le manque d’intervention criant des pouvoirs publics, les organismes communautaires se mobilisent et proposent des réponses innovantes allant de l’accompagnement individuel des locataires à la promotion du logement social à travers des manifestations dans l’espace public, en passant par la participation aux projets de développement de logements communautaires adaptés aux besoins des ménages. Cependant, alors que le tiers-secteur semble jouer un rôle de plus en plus important à l’échelle locale, on peut se demander si cette prise en charge des problèmes de mal-logement par les organismes communautaires ne participe pas à légitimer le manque d’intervention des acteurs institutionnels dans le secteur.
Abstract: Geneviève Breault Dans le cadre de la refonte des pouvoirs des villes entreprise par le gouvernement provincial québécois, la Ville de Montréal s’est vue octroyer en 2016 le statut de métropole. Certaines responsabilités jusqu’alors provinciales lui ont été transférées, dont l’administration des enveloppes budgétaires dédiées à la réalisation de nouveaux logements d’habitation sociaux et communautaires. À la lumière de ce changement de paradigme historique qui confère à l’administration municipale la possibilité de se doter d’outils de planification, d’orientation et de réalisation de son parc de logements sociaux, cet article s’intéresse aux coopératives d’habitation en tant qu’outil privilégié sur le territoire montréalais pendant les 20 dernières années. Il se propose d’analyser l’exploitation d’une coopérative comme une forme de sous-traitance de l’État : ce dernier confie à des ménages à faible et modeste revenu la responsabilité d’offrir à ces mêmes ménages des logements abordables et de les gérer. Pour mieux comprendre comment les membres-locataires engagés dans la gouvernance de leur coopérative vivent les limites de cette forme d’autogestion, nous présenterons les résultats de onze entrevues individuelles menées à l’hiver 2019 auprès de membres ou d’ex-membres de conseils d’administration de onze coopératives d’habitation. Ces dernières permettent de dresser un bilan tiède comportant plusieurs critiques sur l’insuffisance de l’action gouvernementale pour offrir des programmes efficaces, mais également sur les limites et les défis du modèle coopératif. Celui-ci s’accompagne de plusieurs paradoxes, notamment quant à la sélection des membres et à leur implication au sein du projet résidentiel où ils habitent. Ainsi, l’empowerment, la prise en charge collective et la gestion démocratique apparaissent pour des répondant·es davantage comme des idéaux à atteindre que comme une réalité caractéristique du quotidien.
Abstract: Marie-Ève Desroches Le mouvement des Villes en santé encourage les municipalités à intégrer la santé de façon holistique et transversale afin d’établir des mesures concrètes pour réduire les inégalités en matière de santé. De nombreuses municipalités canadiennes adhérant à ce mouvement sont actuellement frappées par une crise du logement qui touche particulièrement les femmes locataires cheffes de familles monoparentales. Cet article explore les liens entre ce mouvement et la création de programmes de logements sociaux avec soutien communautaire à travers l’étude de cas à Montréal, à Toronto et à Vancouver. En s’appuyant sur des entretiens avec des personnes clés et sur une analyse documentaire, il étudie notamment les liens entre ces stratégies municipales et les processus associés à la création de logements sociaux. La recherche confronte également la vision des personnes interrogées concernant la contribution des programmes pour la santé à celles décrites dans les stratégies municipales. Les résultats soulignent que, bien que le logement social constitue un champ d’action pour les Villes en santé, les stratégies municipales ne font que soutenir ou mettre sur pied des coalitions qui, ensemble, peuvent pallier l’absence ou les insuffisances des programmes publics pour le logement social. De plus, les initiatives de logements ne sont pas pensées comme une contribution à une Ville en santé, même si les personnes clés reconnaissent leur potentiel comme leviers pour promouvoir la santé des quelques ménages qui y résident. Ces résultats suggèrent que le mouvement au Canada dépend de communautés soucieuses de leur bien-être, mais surtout qui s’organisent en réseau, parvenant ainsi à surmonter le manque d’investissements publics afin de répondre aux besoins locaux de logements.
Abstract: Élodie Gilliot, Nicolas Chambon et Léa Aubry La politique du « Logement d’abord » initiée en France en 2018 invite à repenser les principes et modalités de l’accompagnement vers et dans le logement. Prenant en partie appui sur l’expérimentation « Un chez-soi d’abord », aujourd’hui pérennisée, le « Logement d’abord » vient remettre en cause un modèle d’accompagnement basé sur l’urgence sociale. L’État invite et encourage ainsi les collectivités (métropoles, communes, départements) à coopérer avec les associations pour mettre en place cette politique. Aussi, le « Logement d’abord » propose-t-il de fonder l’accompagnement vers et dans le logement sur une présomption d’égalité des capacités à habiter de chacun afin de lutter contre les inégalités dans l’accès au logement et contre le sans-abrisme.Notre proposition s’appuie sur une enquête1, sur la responsabilité et l’animation du diplôme universitaire « Logement d’abord », et sur l’inscription dans un réseau d’acteurs du « Logement d’abord » à l’échelle nationale et internationale. Cette présupposition d’égalité des capacités à habiter invite en tout cas à nous intéresser davantage à la subjectivité de l’individu, au sujet, que des accompagnements orientés vers le rétablissement semblent favoriser. Cependant, des points de vigilance doivent être observés afin de ne pas accentuer d’autres formes d’inégalités.
Abstract: Marcos Azevedo Cet article analyse, d’une part, le travail d’intermédiation locative, de soin et d’accompagnement à domicile à destination de personnes atteintes de troubles psychiques graves et, d’autre part, les difficultés d’appropriation de l’habitat vécues par ces personnes. Cette analyse s’appuie sur une enquête de terrain réalisée dans une métropole française au sein d’une équipe chargée d’accompagner des patient·es psychiatriques vivant dans des logements accompagnés, une structure combinant l’offre d’habitat aux soins et à des interventions socioéducatives. L’article montre que, si cette équipe cherche à « sécuriser » les cohabitations en essayant de prévenir et de réguler des pratiques d’habitation jugées déviantes (isolement à domicile, incurie, squattage, consommation de drogues, par exemple), les résident·es expriment des sentiments d’insécurité (au sens d’instabilité) et des difficultés d’appropriation qui sont associés tantôt à leurs trajectoires résidentielles morcelées et vulnérables, tantôt à leurs conditions de vie et d’habitation (précarité économique, surveillance de leurs modes de vie, incertitude quant à leur avenir en matière de logement). La prise en compte du point de vue des personnes concernées permet de voir comment des pratiques supposées favoriser l’inclusion sociale, dans et par le logement, de personnes stigmatisées peuvent en vérité organiser des mécanismes de régulation et de contrôle de leurs modes de vie à domicile, de leurs pratiques de mobilité quotidienne et, in fine, de l’exercice de leur citoyenneté.