Abstract: Pierre-Arnaud Chouvy En français, la qualification de drogue relève davantage d’un processus d’évaluation que de description et les définitions du terme « drogue » sont majoritairement connotatives et culturelles et non désignatives ou dénotatives. La grande majorité des définitions sont donc de type lexicographique plutôt que de type terminologique, ce qui explique qu’il soit fréquemment reproché que la qualification d’un produit en tant que drogue ne repose pas sur des bases scientifiques.Cet article propose donc une réflexion théorique et méthodologique, mobilisant des données et des concepts tant philosophiques, chimiques, que juridiques, afin d’élaborer une définition de la drogue (et non des usages de drogue). Le terme « drogue » sera abordé selon la méthode terminologique afin d’envisager la relation existant entre objet, désignation et concept, selon une approche inductive et taxonomique. Les incohérences de la classification juridique des drogues, qui n’a rien de scientifique dès lors qu’elle ne respecte aucun des impératifs scientifiques de la classification, seront considérées dans le processus de définition par intension de la drogue. Le concept de drogue sera aussi comparé à ceux, connexes, d’aliment et de médicament, montrant ainsi que drogue et aliment sont des concepts incompatibles, alors que ceux de drogue et de médicament peuvent être compatibles.Sur la base de la description (chimique et biologique) de l’objet drogue et de la définition (terminologique) du concept de drogue, l’article propose de réconcilier objet et concept en validant la définition la plus concise qui soit : substance psychotrope. Il sera alors possible de conclure qu’aucun critère moral, politique, social ou même juridique, ne peut entrer dans une définition de la drogue sans remettre en question le principe d’adéquation des définitions par intension.
Abstract: Frédéric Toussaint La question des modalités de diffusion du tabac sur un temps assez long de la seconde moitié du XVIIe siècle jusqu’à la fin du siècle suivant, dans la Subdélégation et la Sénéchaussée d’Hennebont se pose. L’usage du tabac se répand rapidement et devient un produit de consommation courant, disponible pour le plus grand nombre et non plus réservé à une élite, notamment grâce à la multiplication des différentes espèces de tabac proposées. Les autorités prennent rapidement conscience des nécessités d’encadrer, d’encourager, de contrôler sa consommation afin notamment de juguler les éventuelles fraudes. Mais, pour développer l’usage de « l’herbe à Nicot », l’État doit d’abord chercher les interlocuteurs les plus aptes à organiser des circuits de distribution et d’activités de contrôle efficaces. À l’échelle locale, cela se traduit par la nomination de commissaires aux pouvoirs étendus, par la mise en place de réseaux de distribution au plus près du terrain. Ceci permet d’empêcher, ou tout au moins limiter, les fraudes, tout en offrant aux consommateurs la possibilité de s’approvisionner apidement et à un coût supportable.
Abstract: Jeanne This, David Lafortune et Jorge Flores-Aranda Problématique et objectif : La consommation des substances en contexte sexuel – aussi connu sous le nom de chemsex – a surtout été documentée chez les hommes gais, bisexuels ou ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (gbHARSAH), avec de rares études incluant des hommes hétérosexuels. Par ailleurs, les motivations associées au chemsex demeurent sous-documentées, nonobstant l’orientation sexuelle primaire rapportée. Cette étude qualitative exploratoire visait à décrire les motivations associées à la pratique du chemsex chez les hommes et à explorer les possibles différences selon leur orientation sexuelle primaire.Méthodologie : Onze hommes cisgenre (>18ans) rapportant avoir consommé en contexte sexuel au moins une des substances associées au chemsex (méthamphétamine, cocaïne, kétamine, MDMA ou GHB) dans la dernière année ont participé à un entretien semi-directif. Une analyse thématique a été réalisée en utilisant la théorie de l’autodétermination (Ryan et Deci, 2000) pour organiser et conceptualiser les thèmes émergents relatifs aux motivations intrinsèques et extrinsèques associées à la pratique du chemsex.Résultats : Les motivations extrinsèques rapportées faisaient référence à (1) l’influence de normes sociosexuelles intériorisées ou (2) des partenaires sexuels dans l’initiation ou le maintien de la pratique du chemsex. Les motivations intrinsèques incluaient le désir (1) d’améliorer la performance sexuelle et des sensations physiques ; (2) de réduire les inhibitions lors d’interactions sexo-relationnelles ; (3) de favoriser la connexion émotionnelle au.x partenaire.s ; (4) d’atténuer l’impact d’émotions ou d’événement douloureux ou alors (5) de combler un besoin lié à une dépendance aux substances.Discussion : Nos résultats relèvent les facettes multiples du chemsex en matière de facteurs individuels, relationnels ou culturels influençant sa pratique, de même que le caractère heuristique du modèle de l’autodétermination pour distinguer les profils d’utilisateurs relativement à leurs motivations et leur orientation sexuelle primaire.
Abstract: Monge Ntizobakundira, Laurence Fortin, Eva Monson, Nelson Arruda, Julie Bruneau et Christine Loignon Contexte. Les personnes utilisatrices des drogues injectables (PUDI) vivent de la stigmatisation, de la discrimination, un faible soutien et des interactions difficiles avec les professionnels dans le système de soins. Cela entraîne un accès limité aux soins, notamment la prophylaxie préexposition (PrEP) contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les nouveaux traitements d’hépatite C (HC). Les services de navigation peuvent améliorer l’accès à ces soins. Cette analyse documentaire vise à synthétiser les connaissances disponibles sur les expériences des PUDI avec les services de navigation liés à la PrEP et aux soins de l’HC.Méthodes. Une recherche documentaire a été menée à partir de cinq bases de données et complétée par la vérification des listes de références et une recherche manuelle de la littérature grise. Les données pertinentes ont été extraites et synthétisées selon l’approche narrative. Un total de quatorze articles ont été inclus dans cette analyse documentaire.Résultats. Les services de navigation analysés dans cette synthèse sont la colocation des soins dans les sites fixes ou mobiles, la référence externe à l’aide des intervenants et le soutien des pairs. Les bénéfices de ces services pour les PUDI ressortent de manière unanime. La colocalisation des soins semble la plus optimale grâce à la facilité, la rapidité d’accès aux soins ainsi que l’environnement familier et non stigmatisant pour les PUDI. La confiance établie avec les professionnels ainsi que l’importance des pairs ont aussi été relevées. Cependant, les difficultés antérieures dans le système de soins standard persistent.Discussion. La colocalisation des soins dans les lieux non stigmatisants et une bonne relation de confiance avec les professionnels sont centrales pour l’expérience de navigation des PUDI liée à la PrEP et aux soins d’HC. D’autres études sont nécessaires pour approfondir les facteurs personnels et contextuels liés à l’expérience de navigation des PUDI.
Abstract: Nadia Giguère, Stéphane Handfield, David Barbeau et Marie-Dominique Beaulieu (Ré)intégrer le marché du travail et se maintenir en emploi représente un grand défi pour les personnes traitées pour un trouble lié à l’usage des opioïdes. Ces personnes se tournent donc souvent vers les programmes d’aide financière, qui peuvent être majorés de 57 % si un rapport médical documentant les limitations fonctionnelles donne lieu à une reconnaissance de contraintes sévères à l’emploi. L’évaluation de ces limitations est cependant un acte médical complexe, particulièrement pour des patients ayant des troubles liés à l’usage de drogue ou d’alcool.L’étude de cas réalisée dans un centre de traitement de la dépendance aux opioïdes visait à documenter : 1) les critères utilisés par les professionnels impliqués dans l’évaluation ; et 2) le vécu des personnes requérantes. Les données recueillies proviennent d’entretiens menés auprès de sept professionnels et 18 usagers et de deux groupes de discussion formés d’une vingtaine de professionnels.L’analyse thématique montre que cinq types de critères sont utilisés par les professionnels : 1) les facteurs médicaux et psychosociaux ; 2) l’employabilité de la personne ; 3) sa crédibilité ; 4) les impacts potentiels de la reconnaissance des contraintes à l’emploi et de l’accès aux prestations majorées ; 5) leurs valeurs individuelles. Également cinq thèmes principaux émergent des entrevues avec les usagers : 1) l’anxiété liée au processus médico-administratif ; 2) la difficulté à accepter le refus de reconnaissance des contraintes ; 3) les impacts anticipés ou ressentis de l’accès aux prestations majorées, qui tendent à montrer le fort potentiel des interventions sur le revenu ; 4) la grande valeur accordée au travail et le soulagement de voir reconnaître ses difficultés en emploi ; 5) la variabilité des réactions des usagers à l’égard de l’officialisation d’un diagnostic.Des pistes de réflexion sont proposées pour l’évaluation des limitations à l’emploi dans une perspective de promotion de la santé. Celles-ci incluent une approche interdisciplinaire afin de faciliter la prise en compte des déterminants sociaux de la santé dans l’évaluation.