Abstract: Le décès de Gérard Genette en mai 2018 a donné lieu à de nombreuses rétrospectives sur son œuvre critique, toutes confrontées à un paradoxe : celui d’une œuvre ayant eu la chance et le malheur de devenir une doxa. Elle incarne, aux yeux de nombreux chercheurs, dans le monde francophone et au-delà, une norme poétique et formaliste, offrant à qui veut commenter la littérature dans ses fonctionnements et ses mécanismes internes une grammaire à la typologie aussi précise qu’exhaustive. Cependant, depuis la fin des années 1980, la recrudescence des études contextuelles et le renouveau de l’historicisme ont provoqué une perte de vitesse des approches formalistes ; et l’œuvre de Genette en est venue, pour certains, à symboliser des décennies structuralistes perçues comme froides et desséchantes. « Genette » est ainsi devenu un enjeu épistémologique, pratiquement synonyme du mot « poétique », voire du mot « théorie » ; c’est une étiquette assumée ou rejetée, et qui entraine dans son sillage un ensemble de significations, de parti-pris et de présupposés sur le fait littéraire. Ce numéro de Perspectives Médiévales se propose de prendre place parmi ces rétrospectives, paradoxes compris. Il offre un examen du rapport que les études médiévales entretiennent avec l’œuvre de Gérard Genette, en partant d’un premier paradoxe, qui leur est propre : comme la plupart des théoriciens de sa génération, Genette néglige presque entièrement la période médiévale, contribuant à perpétuer l’idée tenace que le Moyen Âge ne peut être traité avec l’apparat théorique approprié aux autres textes littéraires – peut-être parce que la littérature médiévale n’est pas vraiment une littérature. La réflexion paraît pourtant bienvenue, tant les travaux de Genette ont trouvé des échos multiples dans la médiévistique, et ce, bien au-delà de la période structuraliste : ainsi, le Discours du récit dans Figures III a profondément influencé l’approche narratologique des œuvres médiévales, tandis que Palimpsestes modifiait la réflexion autour de l’intertextualité et de la parodie, sans oublier l’apport de Seuils pour l’étude des œuvres dans leur contexte codicologique. Études et travaux Introduction [Texte intégral] Isabelle Arseneau et Patrick Moran Questions de narratologie De l’image narrative à l’image narratrice. Ce que la théorie de Genette fait dire sur Mélusine [Texte intégral] Maud Pérez-Simon Peut-on mesurer la vitesse du récit médiéval ? Réflexions sur le rythme, l’agencement et la lecture du roman en vers [Texte intégral] Vanessa Obry Ordre, durée et fréquence : la narratologie genettienne à la rescousse des récits brefs ? [Texte intégral] Nicolas Garnier Les usages de la métalepse d’auteur dans Partonopeu de Blois et Le Bel Inconnu [Texte intégral] Nathalie Leclercq Seuils et paratextes Aux seuils du monde animal : le bestiaire médiéval du péritexte au métatexte [Texte intégral] Yoan Boudes Aux seuils du paratexte médiéval : les auteurs français et leur nom dans les inventaires aristocratiques de la fin du Moyen Âge [Texte intégral] Julien Stout Transtextualités médiévales
Abstract: Dans la perspective épistémologique des études sur la culture matérielle, le présent numéro de Perspectives médiévales est consacré aux artéfacts médiévaux, et à leur détermination par des actions, des textes ou des dispositifs qui s’en sont emparés après le Moyen Âge pour prolonger ou inventer leur existence, et leur donner une « vie ». Manuscrits et imprimés, objets sacrés et profanes, vêtements et équipements, bâtiments et fresques, machines, instruments et outils : ces cristallisations matérielles de l’époque médiévale ont été étudiées dans une vaste diversité formelle et technique, qu’elles aient été effectivement fabriquées au Moyen Âge, ou qu’elles soient présentées ou interprétées comme telles. L’approche diachronique a été privilégiée, pour mettre en évidence les valeurs d’usage de ces artefacts selon les époques et les acteurs qui s’en sont emparés. Le numéro s’attache à décrire la variété des opérations effectuées sur ces objets, et à en interroger les visées, entre anachronisme, propagande, et manipulation scientifique, et entre charge subjective et valeurs culturelles ou intellectuelles partagées. Des artéfacts en mouvance : on a envisagé la mobilité des objets dans l’espace et dans le temps ainsi que les variations de leur réception, en déclinant la notion selon quatre axes. Restaurer, refaire, contrefaire : la mouvance matérielle réfléchit à la réfection moderne des objets médiévaux, au statut variable, entre faux véritables et contrefaçons assumées. Collectionner, acheter, déplacer : la mouvance spatiale soumet à l’examen les parcours de collectionneurs, dont les politiques d’achat ont façonné une représentation du Moyen Âge appuyée sur les ensembles d’objets voyageurs dont ils ont assuré le déplacement et l’implantation, de l’Europe aux États-Unis ou du continent à l’Angleterre. Avec la mouvance herméneutique, c’est l’usage par le présent des objets du passé médiéval pour écrire l’histoire actuelle ou penser son identité qui est analysé. Enfin, la mouvance discursive met au jour l’usage des artefacts médiévaux pour définir cette fois le Moyen Âge comme période historique, méprisée ou adulée, en contraste ou en continuité avec l’Antiquité ou l’art paléochrétien. L’ambition de ce numéro est ainsi de mieux saisir en quoi et comment la réception postmédiévale des artéfacts médiévaux a façonné et conditionné notre vision actuelle du Moyen Âge, à partir de l’usage moderne ou contemporain des objets médiévaux ou dits tels. Études et travaux La mouvance matérielle des artéfacts médiévaux Restaurer, refaire, contrefaire Restoring Medieval Manuscripts in the Eighteenth-Century: Completing or Perfecting? [Texte intégral] Delphine Demelas « Main de velours dans un gant de fer » ou l’armure manquante : circulation de l’authentique et production du faux dans les cabinets de collection [Texte intégral] Nicolas P. Baptiste An Investigation of a Printer’s Block (Manchester, John Rylands Library, 17252) [Texte intégral] Emerson Storm Fillman Richards La mouvance spatiale des artéfacts médiévaux Objets voyageurs : collectionner, acheter et déplacer les artefacts médiévaux Lost and Found: The Missing Flamboyant Gothic Door from the Château de Varaignes [Texte intégral] Martha Easton Peddling Wonderment, Selling Privilege: Launching the Market for Medieval Books in Antebellum New York [Texte intégral] Scott Gwara
Abstract: « On est revenu au Moyen Âge[1] », « ces actes sont médiévaux, moyenâgeux, barbares » ! Douloureusement réactivées par les attentats récents, ces formules ont été largement utilisées par les médias. Or, en qualifiant le « Moyen Âge » de « barbare » et d’« archaïque », le discours public rejette dans la sphère de l’altérité une période qui appartient aussi à une histoire et à un patrimoine hérités. Les notions de « médiéval » et de « moyenâgeux » semblent ainsi servir de substituts à un impensé qui est celui de la violence de notre propre société. Á l’inverse, « revenir au Moyen Âge », entre séries et jeux de rôles, c’est jouer ou rejouer celui-ci, le plus souvent pour l’encenser, dans une démarche où la nostalgie prend toutefois le pas sur la connaissance. Le présent numéro de Perspectives Médiévales s’est proposé d’analyser les diverses formes que revêt la manipulation de ces expressions, afin de révéler et de mettre à distance l’instrumentalisation sans rigueur dont elles sont le matériau ou le reflet. Car au plan idéologique, ce sont parfois les mêmes discours qui utilisent le terme de Moyen Âge comme référence pour désigner une altérité honnie, et qui par ailleurs l’invoquent pour justifier une identité : les « racines chrétiennes de l’Europe », ou une unité culturelle : l’Occident chrétien, face à une Europe qui serait fragmentée et dangereusement multi-culturelle. De même, au plan économique, le Moyen Âge sert de paradigme à une pensée de l’autarcie, sur la base d’un modèle pré-industriel, pourtant adossé à l’omniprésence de l’ordre et du pouvoir. Le Moyen Âge apparaît donc comme le porte-étendard d’une protestation globale, qui s’élève sans précaution contre la crise actuelle du politique et du modèle européen. À partir d’un travail épistémologique sur les notions et figures politiques les plus fréquemment associées ou opposées au Moyen Âge par les discours publics, les articles rassemblés dans ce numéro invitent à confronter les usages contemporains du terme et des expressions qui lui sont associées avec les réalités et représentations médiévales dont ces notions sont issues. Le Moyen Âge a-t-il été théocentriste, barbare, universaliste, humaniste ? Comment y sont définis l’État, la souveraineté, la violence ? Mieux comprises et mieux connues, ces notions, ces figures peuvent-elles jouer un autre rôle que celui de fantasme, d’écran ou de prétexte ? Et le Moyen Âge politique peut-il encore fournir des références positives pour penser le présent ? C’est une définition de la politique mais aussi du politique qui est en jeu, selon leur détermination par le passé médiéval, et leur articulation à la société d’aujourd’hui. [1] Par exemple : « La Grèce est revenue au Moyen Age ! », article de Dominique Alberti, du 16 février 2012 dans Libération (http://www.liberation.fr/futurs/2012/02/16/la-grece-est-revenue-au-moyen-age_796547) ou bien « L’Europe d’aujourd’hui est revenue au Moyen Âge », article du 16 janvier 2016 paru dans sputniknws.com (https://fr.sputniknews.com/international/201601161020991076-europe-retour-moyen-age). Études et travaux Le politique et la définition du Moyen Âge Les médiévalismes politiques : quelques comparaisons entre la France et l’Italie [Texte intégral] Tommaso di Carpegna Falconieri Sommes-nous grecs antiques ou latins médiévaux ? [Texte intégral] Alain Corbellari Historiens d’aujourd’hui et d’hier et “nouveau Moyen Âge”. D’une formule acceptée, voire utilis... PubDate: 2019-01-11