Abstract: Donald Tremblay et Paul Eid Cet article est tiré d’une recherche quantitative examinant si, à infractions égales ou comparables, les personnes en situation d’itinérance (PSI) poursuivies en vertu du Code criminel à Montréal entre 2013 et 2018 font l’objet de traitements judiciaires différenciés par rapport aux personnes non itinérantes en matière de détention provisoire et à l’étape du verdict. Nous vérifions également si ces traitements judiciaires varient en fonction du type d’avocat·e de la défense. Un premier échantillon a été formé par une extraction aléatoire de dossiers criminels de PSI à même les dossiers d’usager·ères de l’OSBL la « Clinique juridique itinérante » et le rôle du palais de justice. Un deuxième échantillon a été formé par une extraction, à même le rôle du palais de justice, de dossiers criminels de personnes non itinérantes comportant au moins un des dix chefs dont sont le plus souvent inculpées les PSI du premier échantillon. Bien qu’à l’arrestation, les PSI et les personnes non itinérantes soient placées sous garde par la police dans des proportions similaires, les PSI comparaissent cependant davantage détenues. Elles ne sont pas plus susceptibles d’être maintenues en détention au terme de l’enquête sur mise en liberté, mais sont beaucoup plus portées à plaider coupable à cette étape, en plus d’être davantage reconnues coupables au terme de l’instance. Enfin, les PSI ont nettement plus intérêt à être défendues par un·e avocat·e du Bureau d’aide juridique que par un·e avocat·e en pratique privée sous mandat d’aide juridique, tant à l’enquête sur mise en liberté qu’à l’étape du verdict.
Abstract: Emmanuelle Bernheim Les procédures judiciaires d’hospitalisation et de soins forcés en psychiatrie sont en pleine augmentation depuis une quinzaine d’années dans les pays du Nord global. Les recherches démontrent que ces pratiques judiciaires visent des groupes sociaux marginalisés et sont caractérisées par la violation de leurs droits judiciaires et civils. Quatre ethnographies judiciaires ont mis en lumière la multijudiciarisation des personnes soumises à ces procédures au Québec, tant en santé mentale que dans d’autres domaines comme le droit pénal et la protection de la jeunesse. Elles ont également permis de documenter le contenu des débats judiciaires, axés sur les conditions socioéconomiques des personnes visées plutôt que sur le droit. À partir de ces terrains ethnographiques analysés inductivement, cet article décrit comment, dans un contexte de distance sociale entre les juges et les parties défenderesses, la justice civile et administrative en santé mentale s’exerce sur la base d’un risque indéfini profondément ancré dans une conception stéréotypée des genres et des races.
Abstract: Charlène Crahay Partant d’une enquête ethnographique menée dans trois prisons belges et de la récolte d’un matériau composé d’évaluations individuelles et de rapports psycho-sociaux de 24 détenus repris dans les catégories OCAM ou CelEx – à savoir des détenus condamnés pour des faits de terrorisme ou identifiés par les services pénitentiaires ou de renseignement belges comme étant des personnes « radicalisées » –, cet article vise à décrire et analyser les fonctions et les effets des pratiques d’évaluation du risque par les membres des services psycho-sociaux à l’égard de cette population détenue.
Abstract: Justin Piché, Olivia Gemma, Mackenzie Plumb et Élisabeth Venczel Malgré la recrudescence des appels au définancement de la police et des solutions de rechange à l’emprisonnement au cours des dernières années, plusieurs gouvernements provinciaux au Canada continuent d’investir des milliards de dollars dans le « système d’injustice punitive » pour bâtir de nouveaux espaces d’incarcération. Cet article offre un aperçu des nouveaux projets de construction de prisons en cours dans l’État carcéral canadien qui sont érigés dans un effort exprimé de répondre aux « besoins spécifiques » d’un « profil changeant » des personnes incarcérées. Plus précisément, nous mettons en lumière comment l’incarcération de masse des Autochtones et des Noirs, le nombre croissant de femmes emprisonnées, ainsi que la criminalisation des personnes consommatrices de drogues et des personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont utilisés pour légitimer leur exclusion de la société au nom de soins carcéraux.
Abstract: Jade Bourdages, Gabrielle Prince-Guérard et Izara Gilbert Cet article a pour objet les enjeux autour de la recherche sur les discriminations envers les jeunes personnes racisées et leurs profilages dans les pratiques quotidiennes en milieux urbains. Il repose sur un terrain effectué dans un quartier de la ville de Montréal et un quartier de la ville de Québec. En nous inspirant des travaux de Philomena Essed (1991) sur le racisme quotidien et de Martin Hébert (2011) sur la mise en récit des formes de violence, nous porterons notre attention sur les problèmes de compréhension et de traduction se rattachant au fait d’habiter dans ces quartiers. Nous proposerons une analyse à partir de trois stratégies discursives locales qu’empruntent les jeunes personnes racisées et leur communauté lorsqu’elles prennent la parole pour décrire et expliquer leurs expériences de discriminations et de profilages dans leur quotidien et leurs relations sociales au sein de leur quartier : la personnification, la métonymie et l’antithèse.
Abstract: Nicolas Spallanzani-Sarrasin et Marianne Quirouette Il est bien établi que les personnes en situation d’itinérance (PSI) sont profilées, (sur)judiciarisées et qu’elles doivent affronter de nombreux obstacles devant les tribunaux, notamment en lien avec l’accès à la justice, les modes de représentation, les conditions de remise en liberté et les exigences thérapeutiques. Dans ce contexte, les avocats et avocates de la défense jouent un rôle important auprès des PSI, non seulement dans la défense de leurs droits, mais aussi dans plusieurs démarches extrajudiciaires (p. ex. : diriger vers les services psychosociaux et collaborer avec ces derniers). Notre article s’appuie sur des entretiens semi-dirigés (n = 65) réalisés auprès d’avocat·es de la défense criminelle qui pratiquent au Québec afin de décrire et comprendre leur point de vue sur (1) leur volonté à représenter des PSI, (2) les barrières à l’accès à la justice, (3) la reconnaissance formelle et informelle des contraintes et du profilage social vécus par les PSI et (4) les stratégies de la défense et les réactions de la cour. Notre article met en lumière plusieurs stratégies employées par ces personnes afin de représenter leurs clientèles en situation d’itinérance, comme le magasinage, la résistance ou la collaboration, soulignant les défis importants engendrés par la culture des tribunaux, la surcharge judiciaire et le manque de ressources.
Abstract: Anne Wuilleumier Cet article porte sur les doléances des citoyens envers les polices dans les dossiers déposés devant le Défenseur des droits français. À partir de l’analyse qualitative de quarante-huit dossiers datant de 2017, il s’intéresse aux types de conflits pratiques et normatifs qui sont à l’origine de cette saisine et à leur mode de problématisation par les citoyens. Il montre que si le droit reste une grandeur de référence importante pour les citoyens, la mise en forme du sentiment d’injustice devant ce nouvel intermédiaire des droits installé en 2011 mobilise également des catégories extra-juridiques. L’efficacité des organisations, le devoir de protection des « petits » par les grands, l’inclusion de chacun dans une communauté des égaux apparaissent ici comme autant « d’opportunités pour le droit » (Felstiner, Abel et Austin, 1991) créées par les citoyens dans une perspective élargie de concrétisation des droits (Revillard, 2020).
Abstract: Massimiliano Mulone, Victor Armony et Mariam Hassaoui Dans ce texte, nous examinons la manière dont les organisations policières pensent la question du racisme au sein de leur profession. Comment est-ce que les policiers et les policières expliquent les disparités de traitement avérées qui touchent les groupes racisés ' Quels sont les narratifs déployés pour délégitimer les accusations de racisme ' Pour répondre à ces questions, la notion d’agnotologie, ou production culturelle de l’ignorance, est mobilisée dans le cadre d’une analyse des données d’interpellations et d’interceptions d’une police municipale québécoise de taille moyenne, à laquelle s’ajoutent douze entrevues semi-directives effectuées auprès de membres de cette même organisation. Ce devis méthodologique mixte nous permet tout d’abord de relever cinq explications alternatives au profilage racial qui sont mises de l’avant par les forces de l’ordre, et d’ensuite les évaluer sur le plan empirique. Alors qu’aucune des explications proposées ne survit à l’analyse des données quantitatives, nous proposons une réflexion sur les pratiques « agnotologiques » relatives aux allégations de racisme touchant les officiers de police, ainsi que sur la nature du doute qui en découle.
Abstract: Alexandre Gauthier et Jean Proulx À ce jour, il n’existe pas de consensus dans la littérature concernant les caractéristiques de l’agresseur sexuel sadique. Cette absence est largement due aux limitations des études portant sur ce phénomène. Par exemple, certaines études utilisent des définitions idiosyncratiques du sadisme sexuel, les échantillons étudiés sont hétérogènes, et la temporalité de ces études est souvent fixée à l’âge adulte. Afin de pallier ces limitations, nous avons entrepris d’identifier les caractéristiques distinctives des agresseurs sexuels sadiques (n = 69) et non-sadiques (n = 137) ciblant des femmes adultes, tous incarcérés au Québec, Canada. La Severe Sexual Sadism Scale (SESAS), un instrument validé empiriquement, a été utilisée pour classifier les agresseurs. Des analyses bivariées (chi-carré) ont été effectuées. Nos résultats ont révélé que les agresseurs sexuels sadiques et non-sadiques de femmes diffèrent sur plusieurs aspects, notamment sur les plans développemental, psychologique, sexologique et criminologique. Les implications théoriques et cliniques de nos résultats sont discutées.
Abstract: Patrick Lussier et Julien Fréchette Au Canada, le risque de récidive sexuelle de délinquants sexuels suscite des préoccupations sociales, juridiques et politiques depuis environ 80 ans. Une revue systématique de 160 études canadiennes sur la récidive des délinquants sexuels réalisées entre 1940 et 2019 a été l’objet d’une méta-analyse quantitative afin d’évaluer ces taux et leur évolution à travers le temps. L’analyse des taux moyens pondérés depuis 80 ans montre que la récidive sexuelle a chuté de façon abrupte et significative depuis les années 1970. Une série de méta-régressions montre que cette chute ne semble pas être le résultat de variations méthodologiques. Ces résultats soulèvent des questions fondamentales concernant l’évolution des taux de récidive à travers le temps, un sujet de recherche largement inexploré à ce jour. Des hypothèses sont proposées pour expliquer la chute de la récidive, mais plus important encore, ces résultats pointent vers un nouveau champ de recherche pour une criminologie comparée.
Abstract: Isabelle Thibault, Annie Gendron, Karine Poitras, Nina Admo et Chantal Plourde L’intervention policière auprès d’enfants pose de multiples défis, lesquels seraient d’autant plus importants dans les communautés autochtones où des tensions sociales sont observées entre de leurs membres et des policiers (autochtones et allochtones). Bien que quelques auteurs se soient penchés sur les services policiers autochtones, très peu se sont intéressés au vécu des policiers oeuvrant au sein de ces communautés. Ainsi, l’objectif de cette étude est de documenter les enjeux opérationnels, interpersonnels et culturels associés à l’intervention policière en milieu autochtone au Québec, lorsque celle-ci concerne des enfants. Sept policiers autochtones ou allochtones, travaillant dans différentes communautés autochtones du Québec, ont participé à une démarche de méthode d’analyse en groupe (MAG). À partir du verbatim intégral de ce processus de recherche, une analyse de contenu thématique a été menée. L’arborescence montre l’émergence de plusieurs concepts en lien avec l’intervention policière dans ces milieux où vivent des enfants dont la sécurité est compromise. Notamment, il est question de la proximité citoyenne, de la récurrence des problématiques et du manque de communication entre les divers services de soutien. Pour y faire face, les participants s’entendent pour dire qu’il importe d’ouvrir le dialogue pour favoriser la concertation entre les services policiers et les services de soutien, dont la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).
Abstract: Marie-Ève Beaucage, Rémi Boivin, Annie Gendron et Frédéric Ouellet Les études sur les motivations à devenir policier sont rares, particulièrement dans la francophonie. De plus, la possibilité que les motivations changent au fil du temps est largement ignorée, même si les futurs policiers sont, pour la majorité, à une période cruciale du développement humain, soit la vie d’adulte émergente. Cet article vise à suivre l’évolution des motivations de 437 futurs policiers du Québec ainsi qu’à vérifier l’existence de liens entre les profils motivationnels, les aspirations professionnelles et le sexe, l’âge et l’origine culturelle des répondants. Les résultats proposent que le désir d’aider les gens reste la motivation ayant suscité l’intérêt de la majorité des étudiants, indépendamment de leur année de formation et de leurs caractéristiques individuelles. L’analyse des motivations a aussi permis de déterminer que le choix d’entrer dans la police se distribue selon un profil missionnaire ou judicieux. Enfin, les résultats suggèrent que plusieurs (futurs) policiers choisissent ce métier pour sa mission, mais que les motivations peuvent changer en fonction de l’âge biologique et de l’avancement dans les études. Concrètement, cela signifie qu’il est raisonnable d’anticiper des changements entre l’admission à la formation policière et l’achèvement de celle-ci, et d’ajuster les critères d’admission en conséquence.